Le théâtre mondain des "Communistes" d’Aragon

Des scènes de conversation de table, fréquentes dans "Les Communistes", cet article retient l’anniversaire de Simon de Cautèle (tome I, chapitre XII) qui réunit en octobre 1939 de grands bourgeois et aristocrates. La peinture de ce repas mondain s’inscrit dans le cadre général d’une dénonciation de la trahison de la classe dirigeante, accusée de s’être compromise avec le futur occupant. Cette étude, qui s’appuie sur les travaux de M. Bakhtine ("Esthétique et théorie du roman"), d’O. Ducrot sur la polyphonie de la langue, et de J. Authier-Revuz sur l’hétérogénéité constitutive des discours, examine trois manifestations de la polyphonie. La première concerne le discours relaté : les voix du narrateur et des personnages s’entrelacent, dans cette scène où le discours maurrassien apparaît comme le socle qui détermine l’écriture de la parole de droite. Aragon met aussi en évidence un comportement verbal spécifique de la distinction chez ces locuteurs bourgeois (volonté de s’illustrer par des mots d’esprits et des paradoxes, désir de paraître spirituel). En plaçant dans la bouche de deux personnages fascisants des informations concernant l’ampleur de la persécution contre les communistes (inculpation de 43 députés communistes le 5 octobre 1939) et la présentation de "L’Humanité" devenue clandestine, Aragon introduit habilement des éléments constitutifs de la thèse qu’il défend : les communistes sont les chevaliers des temps modernes. La seconde concerne la pratique de la citation, soit une forme d’intertextualité identifiable dans les bribes de citations littéraires et de références culturelles (Henri de Régnier, Apollinaire ou Debussy) placées dans la bouche de ces mêmes commensaux. La dernière relève de la « polyphonie intercodique » : l’illustration choisie par l’écrivain pour l’édition de la deuxième version des "Communistes" en 1966 (un “rayo¬gramme” de Man Ray et le "Condottière" d’Antonello de Messine) produit des effets sur la réécriture du cha¬pitre. Au plan du texte comme de l’icône, l’Autre est ainsi partie prenante dans l’écriture aragonienne